lundi 30 décembre 2013

Paludisme - Tazomoka - 5

Nous voici aux termes de cette série sur la malaria.

Le hasard a voulu qu'en 1990, dès la sortie de l'école de laborantin, je rejoigne l'équipe de recherche sur le paludisme pour y passer huit années de ma vie.

Le discours d'accueil de mon professeur agrégé de patron fut "d'oublier tout ce que j'ai appris au sujet des analyses médicales" afin de m'ouvrir aux techniques de culture cellulaire !

Notons au passage que dans le cadre de la recherche, nous étions tenus à noter scrupuleusement tout ce que l’on entreprend et dans les moindres détails (et surtout en cas de non respect des protocoles). Ceci, afin de pouvoir respecter la reproductibilité d’un résultat. Si bien que la traçabilité est vite devenue le fil d’Ariane de chacun de nous.

Ainsi, je commençais mes journées par changer les milieux de culture des hématies, tout en tirant des lames (frottis sanguins) afin de faire les « parasitémies » des divers souches en culture. Heureusement, nous disposions de kit de coloration rapide pour ce faire.

Changement de milieu de culture (voir la vidéo)

Une de mes tâches consistait aussi à préparer les milieux de culture. La plus évidente fut de reconstituer les diverses solutions et de les autoclaver. Celle qui était plus fastidieuse fut de récupérer des poches de plasma humain congelées afin de fournir le sérum indispensable pour suppléter à 10% les dits milieux de culture. Enfin, de temps en temps, il était aussi question de préparer un cocktail radioactif (hypoxanthine tritié) pour le marquage des parasites avant l’extraction des antigènes du plasmodium, mais aussi dans le cadre des fameux tests de chimio sensibilité aux anti malariques.

Ambiance en culture cellulaire (voir la vidéo)


Toutes ces manipulations se faisaient sous hotte à flux horizontal au début. Ce n’est que beaucoup plus tard que les normes imposaient l’acquisition de hotte à flux laminaire. Peu de temps avant que je quitte le centre de recherche, nous travaillons en ambiance confinée type PII bis !



L’objet de tous ces soins est sa majesté Plasmodium falciparum. Effectivement, seule cette souche pousse en culture. Nous avons aussi la responsabilité d’isoler les souches provenant des impaludés (militaires et civils) des hôpitaux métropolitains mais aussi d’Afrique. Si bien que l’unité de recherche dispose d’une riche banque conservée dans de l’azote liquide. La congélation des souches incombe aussi aux techniciens de laboratoire.

Enfin, nous passons aussi une partie de notre temps à entretenir l’animalerie. Entre autres, le nettoyage des cages de souris. Ces dernières servaient à produire des anticorps monoclonaux. Le prélèvement d’ascite sur ces pauvres bêtes au ventre gonflée comme des montgolfières fut toujours une tâche délicate et difficile psychologiquement, étant donnée la souffrance qu’elles enduraient.

L’autre difficulté de ce métier, c’est de ne pas souiller les boîtes de culture. Au départ en boîte de Pétri, puis en flasque dès lors qu’il fallait passer à la production d’antigène pour l’autre équipe qui étudiait chaque fraction des gènes du parasite. Donc, il fallait tenir compte de l’indice de multiplication de la souche afin de prévoir les « divisions » des boîtes de culture. En terme plus simple, il fallait diluer la suspension hématies parasitée par une suspension d’hématies saines. Ici encore, c’était la banque de sang de l’hôpital militaire de Toulon qui nous fournissait les poches d’hématies saines. Ces dernières devaient au préalable subir des séries de lavages (centrifugation dans des milieux de culture) pour être conservées quelques jours au réfrigérateur.

Je vous renvoie aux articles précédents pour ce qui est du cycle de reproduction du Plasmodium falciparum. Effectivement, il fallait régulièrement « resynchroniser » chaque souche afin d'obtenir une population homogène. Cela consiste à traiter au sorbitol une culture où cohabitaient : les trophozoïtes (formes jeunes en bague à chaton) et les schizontes (formes âgées à noyau multiple). A l’issue, les hématies parasitées par les schizontes s’hémolysent et ne subsistent que celles parasitées par les trophozoïtes. C’est une étape indispensable avant chaque production massive d’antigène palsmodial.

La récolte se fait à un stade ciblé en fonction des protocoles de recherche établis. En général, les schizontes matures - voire les rosaces - sont préférés car à ce stade, le parasite dispose d’un maximum de matériel antigénique. Compte tenu du cycle parasitaire et malgré tous les soins apportés à la culture, le plasmodium arrive à maturité bien souvent en pleine nuit. Ainsi je profitais de mes tours de garde administrative (comme sous-officier) pour effectuer le fameux « percoll ». Ce protocole délicat et long m’occupait au laboratoire, au lieu de passer bêtement mes nuits devant le poste de télévision dans ma salle de garde.

L’extraction d’antigène parasitaire commençait par une série de lavages (centrifugation) des cultures (hématies parasitées). Entretemps, je préparais deux dilutions de solution de silice avec du sorbitol. Le plus dur était de déposer délicatement celle de 90% au fond du tube à centrifuger, puis celle 70% juste au dessus. Ici tout tremblement est interdit. Enfin, cerise sur le gâteau, il fallait déposait une suspension d’hématies parasitées en guise de troisième et dernière phase supérieur.

Percoll Sorbitol (source)
L’ultracentrifugation faisait son reste. Et si j’ai été assez méticuleux, j’aurais la joie de récolter délicatement parmi plusieurs phases (bandes colorées différemment et séparées en fonction de leurs densités) celle qui m’intéresse.

Les schizontes se retrouveront dans une bande noire spécifique : un anneau sombre. Les trophozoïtes seront (toujours intra érythrocytaires) en interphase et moins dense.

Cette technique permettra une synchronisation partielle car on pourra les remettre en culture par la suite.

Une fois avoir congelés les schizontes, je peux enfin rejoindre mon poste de garde et me coucher. 

Telle est le fragment de vie d’un technicien de laboratoire dans une équipe de recherche sur le paludisme. Je vous fait grâce des protocoles de préparations des plaques d’anti malariques pour les tests de chimio sensibilité - ou de chimiorésistance ça dépend sous quel angle on voit les choses !

En plus du côté technique de ce métier, une motivation particulière ne m’a jamais quitté car ma famille à Madagascar fait partie des personnes potentiellement victime du paludisme, comme tant d’autres individus dans le monde intertropical.



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Mise à jour ce 18.05.2019 : 

Paludisme à Betroka
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