mercredi 31 juillet 2013

Parasitoses à Madagascar

Ceci est le prélude d'une petite tentative de séries d'articles sur les parasites. Pas ceux qui sont sous les feux des projecteurs de l'actualité du pays (c'est-à-dire ces personnes peu scrupuleuses qui ont conduit le pays au désastre : l'Homo parasitus) mais les authentiques parasitos du grec ancien παράσιτος.  

Il n'est surtout pas question ici de "faire mieux" que les sites médicaux spécialisés en la matière, mais juste de partager quelques documents entre les mains d'un profane. Commençons par l'étude d'un cas clinique :

la BILHARZIOSE

Cette maladie connue communément par les paysans malgaches sous l'appellation phonétique belazôza (du moins dans la région du lac Itasy) se nomme de manière plus académique takilodrano

Ceux qui se sont déjà frotté au takilotra, ces "lianes très abondantes de la famille des légumineuses, takilotra ou agy, dont les cosses sont extraordinairement velues. Lorsqu'elles sont sèches, les poils se détachent et occasionnent des démangeaisons intolérables" ("Revue d'ethnographie et des traditions populaires" - Volume 3 - Page 182 - Maurice Delafosse - 1922) en savent quelque chose. 

Effectivement, au moment de la contamination par les fameux furcocercaires ou kakandio (Rajemisa 1985) ou sokoraty (lexique malagasy-malagasy -  SLP/MINESEB) en malgache, l'impression du contact avec un poil à gratter (takilotra) est mémorable.

Pour ma part, je me rappelle d'être contraint d'interrompre à contre-coeur, une partie de pêche miraculeuse et de sortir illico presto de l'eau, pour me gratter rageusement sur la berge. Était-il dû à une invasion de furcocercaires - dermite des nageurs ? Le doute est permis car mon compagnon de pêche ce jour, bien qu'ayant subit le même désagrément n'a jamais fait de bilharziose à Mansoni comme moi. Pour être plus précis, nous trempions régulièrement dans tous ces lacs et cratères de l'Itasy lors des parties de pêche et de chasse. Notons aussi que cette région est répertoriée comme à risque selon l'IPM.

Il y a une autre région où j'aurais pu me faire contaminer aussi. Il s'agit de Vohiposa, un bourg proche d'Ambohimasoa. Naïvement, en tant que jeune bachelier, j'ai fait ma lessive dans la rivière du coin pendant mon service national hors des forces armées en 1981. La bilharziose à Mansoni fait des ravages dans le sud malgache.

A l'issue de mon service malgache, je m'expatrie en France et le hasard a fait que je devienne sous-officier du service de santé de l'armée de terre. Après des années sans incidents médicaux je suis devenu sujet aux asthénies intenses en fin de journée alors que j'étais à l'école de laborantin de l'hôpital des armées Desgenettes de Lyon en 1989.

Hospitalisé en service de médecine interne, j'ai subi tous les bilans systématiques que j'ai vu en cours avec mes professeurs : Bilan sanguin complet, myélogramme, radiographie, échoabdo... 

Comme je n'avais "juste qu'une petite" hépatosplénomégalie et que tous les autres bilans étaient négatifs, le chef de service de médecine interne s'orienta vers la bilharziose, étant donné mes origines malgaches associées à mon long séjour dans l'île.

Tous les examens complémentaires étaient alors positifs :
  • sérologies
  • électrosynérèse et immunoélectrophorèse
  • rectosigmoïdoscopie biopsies (granulome bilharzien)
  • fibroscopie digestive
 
varices oesophagiennes grade II (archives de l'auteur)
Diagnostic : "Bilharziose hépatique à Schistosoma mansoni" 

Cette forme grave avec hypertension portale, débutant par une phase asymptomatique, aurait pu être fatale dès lors que les signes traditionnels se seraient manifestés : rectorragie ou hémorragie digestive.

Je suis pleinement conscient de ma chance inouïe d'avoir été bien diagnostiqué, alors que des milliers de paysans malgaches meurent dans les campagnes reculées des années après leur contamination ET AVOIR CONTAMINEs d'autres individus. 
cours de parasitologie 1 de l'auteur

cours de parasitologie 2 de l'auteur
S'en suivent alors les traitements médicamenteux classiques très efficaces mais assez épuisants. Effectivement, il fallait éliminer tous mes "petits locataires", ces parasites par de gros comprimés et qui m'assommaient par la même occasion !

Une fois déparasité, il fallait aussi réduire la fibrose du foie par une prise per os d'autres médicaments.

Une surveillance de l'évolution des varices oesophagiennes se traduisait par des fibroscopies trimestrielles. Au début très désagréables, les séances (sans anesthésie / juste pour 5mn) sont rentrées dans la routine jusqu'au jour où j'ai littéralement broyé les doigts du spécialiste quand il m'a introduit l'embout de guidage dans la bouche. Cette triste confusion s'est terminée par mes excuses désordonnées et acceptées par un légendaire flegme de ma victime.  

Dès lors que les transaminases et GGT sont redevenus normaux et que le tout semblait stabilisé (varices oesophagiennes toujours grade II) l'hépato-gastro et le chirurgien viscéral de l'hôpital militaire Lavéran m'ont proposé une solution préventive au vue d'une éventuelle hémorragie digestive.

Le choix de cette solution radicale s'est justifié car j'étais un sujet jeune (trentenaire) non fumeur, ne buvant pas, sportif.

Bien que je leur faisais entièrement confiance, la décision ne fut pas simple en tant que bon père de famille car il fallait prendre en compte les risques chirurgicaux classiques.

Très pédagogique, le chirurgien m'expliqua le déroulement des 8 heures de table d'opération. La thrombopénie à 80 000 plaquettes nécessite d'innombrables hémostases à réaliser au fur et à mesure.

schéma de l'auteur
L'opération s'est passée à merveille. Toute l'équipe s'est investie à fond. J'ai omis de vous dire au début, qu'un cas comme le mien est assez rare en métropole, si bien qu'il a fait l'objet d'une publication scientifique dans la revue de médecine tropicale des armées.

Après quinze jours d'observation et une fois les 11 agrafes enlevées, je rentre chez moi avec une belle cicatrice de 20 centimètres de long en forme de "S couché" sur l'abdomen.

Depuis, les transaminases et GGT sont normaux et aucunes varices oesophagiennes. Je maintiens toujours une bonne hygiène alimentaire pour ce faire.

Cette article n'est qu'un simple témoignage tout en rendant hommage à tous les intervenants qui m'ont rendu service. Pourvu que le service de santé le reste et ne devienne pas un business !

Enfin, comme je n'oublie jamais d'où je viens, j'ai une pensée omniprésente pour ceux qui ont moins de chance que moi à Madagascar et la conclusion d'un article sur la bilharziose résume bien le volet socio-économique que je n'ai pas encore traité : 

"L’eau constitue le facteur principal dans la chaîne épidémiologique de la bilharziose : L'éclosion des oeufs, développement et survie des hôtes intermédiaires, dissémination des furcocercaires infestantes, contamination de l’homme. Malgré les succès obtenus dans la neutralisation de certains foyers, la grande plasticité des relations entre les hôtes, les parasites et les mollusques explique que l’épidémiologie des bilharzioses soit en constant remaniement et que cette maladie soit loin de disparaître. Au contraire, dans certaines régions, elle est en pleine voie d’extension, dépendante du développement économique et social et donc favorisée par la mise en valeur de nouvelles terres pour l’agriculture, elle même tributaire des ressources hydrauliques, et par l’apport de main-d’oeuvre provenant de régions parasitées. De plus les énormes déplacements de populations humaines, qui s’observent plus particulièrement dans le monde défavorisé, rendent illusoire la prophylaxie de masse. Il est regrettable que le bénéfice économique attendu par les travaux d’irrigation soit compromis, entre autres, par l’extension de l’endémie bilharzienne."


Il ne m'a pas semblé déplacer de présenter l'association Kaicedrat ici, pour la seule et simple raison qu'un de mes bienfaiteurs continue dans cette voie avec eux.


découvrir l'association
_______________________
Mise à jour le 28.12.2016  :

   Le Pr BARRY MARSALL s'est rendu dans la région de l'Itasy...

"Juste avant la conférence, une descente sur terrain sera réalisée à Ampefy, en collaboration avec le ministère de la Santé publique en vue de déterminer le « taux de réinfestation de la bilharziose mais aussi de faire un suivi de la prévalence de la maladie ». Le cas d’Ampefy ne représente évidemment pas la prévalence globale au niveau du district, mais selon le communiqué des organisateurs de la conférence, la descente sur terrain devrait permettre de « connaître l’intensité de l’infection chez les échantillons choisis"


(source)

5 commentaires:

  1. Bonjour,
    Blog véritable précis de microbio et de physiopathologie.
    Beaucoup de compassion pour les patriotes. Mbola tena gasy e!
    Merci pour le partage.
    Mapamangy et bonne soirée!
    G.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci d'avoir pris le temps de le lire alors que ta charge de travail est énorme.

      Supprimer
  2. prof de microbio-bio, je vais avec avec une classe de BTS Labo du Pay basque de France au CRFPA d'Analavory près du lac d'Itasy, y a t'il une méthode de recherche des cercaires de bilharzies dans les planorbes afin de connaitre le niveau d'infestation des plans d'eau
    merci
    bernard.chassevent@orange.fr

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ravi de vous rendre service via le blog.
      Malheureusement, je ne suis pas à jour des réalités locales (dernier séjour en 1998), alors je vous renvoie aux professionnels de l'lnstitut Pasteur de Madagascar – Département Bilharziose :

      http://www.pasteur.mg/spip.php?rubrique46

      J’ai parcouru le site de l’ambassade de France à Tana mais je n’ai pas trouvé la signification du Crfpa d’Analavory.
      S’agit-il d’un Centre Régional de Formation pour Adulte ? Ou Agricole ?

      Supprimer
    2. L'aventure pédagogique (étude du vecteur de la bilharziose) de ces lycéens se poursuit dans l'Itasy. Pour voyager avec eux, il suffit de consulter la page :

      http://madaghaspar.blogspot.fr/2013/12/j28.html?showComment=1386089316678

      Supprimer