lundi 26 décembre 2022

Soigner la société

 Cette année nous fêtons les 50 ans du groupe Mahaleo. 3 des 5 étaient médecins.


Il ne reste plus que les 2 sociologues. DAMA et BEKOTO. A eux deux incombe la lourde tâche de soigner la société malagasy !


(source)

Deux cinquantenaires marquants ont été célébrés cette année à Madagascar : celui de la révolution de mai 1972, qui vit la jeunesse étudiante se soulever contre la persistance de l’influence de l’ancienne puissance coloniale, la France ; et celui de Mahaleo, le groupe de musique le plus populaire de l’île, dont un album est disponible en digital depuis septembre 2022 (Mahaleo en concert (1)). En réalité, l’un ne va pas sans l’autre : Mahaleo (« libre », « indépendant » en malgache) est né dans l’effervescence de mai 1972.

Lorsque le mouvement a commencé, Bekoto, Charle, Dadah, Dama, Fafa, Nono et Raoul, lycéens, se sont trouvés réunis pour animer, avec leurs guitares, les piquets de grève rassemblant étudiants, élèves et travailleurs dans leur ville. « Nous avons des idéaux, chantent-ils alors en malgache, nous ne nous tairons pas tant que vous n’aurez pas satisfait nos justes revendications. » Depuis, Mahaleo n’a plus jamais quitté la scène. Au fil des décennies, marquées par plusieurs crises politiques aux conséquences sociales tragiques, le groupe a conçu des centaines de titres et offert d’innombrables concerts, dont beaucoup ont duré des journées entières. Les liens tissés avec les Malgaches sont tels que certains morceaux du groupe sont aujourd’hui régulièrement chantés à l’unisson lors des réunions familiales et amicales.

Le succès de Mahaleo, qui a fait l’objet d’un film documentaire en 2005  (2), repose à la fois sur un style mélangeant folk et polyphonie, et sur des textes qui racontent le quotidien tout en abordant des thèmes universels comme l’amour, le deuil, la pauvreté, le pillage des ressources naturelles, les élites dirigeantes qui comptent leur argent, la nécessité de se révolter contre ceux qui écrasent… « Les Mahaleo ont la vertu de compassion, antra en malgache, qui peut se traduire par “garder un cœur quoi qu’il arrive” », observait la sociologue Janine Ramamonjisoa en 2005. « Ils lisent et disent la société malgache. Ils ont créé quelque chose qui a du sens et qui perdure dans toutes les couches de la société », résume une de leurs fidèles auditrices (3).


Dama a été élu deux fois député (indépendant), en 1992 et 1996, et s’est présenté à l’élection présidentielle en 2018. Mais Mahaleo a une autre particularité : ses membres n’ont jamais fait de la musique un métier. Raoul, Nono, Dadah sont respectivement devenus médecin et chirurgiens, et ont exercé, par choix, dans le service public. Bekoto, Charle et Dama ont étudié la sociologie et œuvré notamment pour les droits des paysans, Fafa a été employé dans un ministère. Ces carrières professionnelles, mais aussi leur attachement à leur pays et leur indépendance d’esprit, expliquent leur quasi-anonymat sur la scène internationale. Leurs deux concerts en 2007 à l’Olympia, à Paris, ont surtout attiré la « diaspora » malgache (4). « Je nous vois, les gars, je nous imagine plus tard, vieux mais toujours ensemble, chantant encore, sans regrets », prophétise une chanson écrite par Dama en 1987. La mort est venue faucher Raoul (2010) puis Nono (2014). La disparition en 2019, à deux semaines d’intervalle, de Fafa et Dadah, l’un des plus grands poètes de Madagascar, puis de Charle (2021) ont laissé Dama et Bekoto désemparés. Quelle suite donner à Mahaleo, s’est longtemps interrogé Bekoto — dont vingt titres emblématiques sont sortis en France en digital cette année (5) ? Tous deux ont décidé de poursuivre l’aventure, fêtant leurs cinquante ans de scène avec une série de concerts. Les fils, ceux de Nono, Fafa et Charle, jouent et chantent avec eux.

Fanny Pigeaud

Journaliste.


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